juillet06

C'est un blog né de l'impuissance. Impuissance face aux discours steriles, à la méchanceté gratuite, à la folie et à l'égocentrisme de ceux qui veulent gouverner et construire des nations. Un blog qui me ressemble : incohérent et interrogateur, drôle et larmoyant. Valérie

Monday, July 31, 2006

Le 31 juillet, 10h30. Les matins-réveils


Je dors longtemps, trop longtemps. Et quand je me réveille, la réalité reste épaisse, enveloppée dans un mélange de fond de teint qui pue et de brouillard humide. J’avance les yeux ouverts, vides de toute expression.
J’ai mal partout, au dos, au cou, aux mains. J’ai mal à l’intérieur. J’ai trop souvent la nausée. Ca vient de nulle part et ça me monte au nez.
Je suis assisse au milieu de gens qui parlent. L’ambiance est calme. Les idées se développent. On entend par moment les avions danser autour de nos têtes. Et, tout à coup ils s’éloignent tous, leurs voix ont des difficultés à atteindre mes oreilles. J’ai la nausée et je pleure. Je veux rentrer chez moi. Je ne veux plus parler. La journée a été trop difficile. Je pense aux enfants qui courent dans les cours d’immeubles et dans les cours d’écoles et à ceux qu’on a enveloppés ce matin dans des sacs plastics.
Une trentaine de petits sacs plastics. Les enfants doivent étouffer à l’intérieur même s’ils sont déjà morts. Ils auront du mal à s’envoler. Les sacs sont bien attachés.
Je pense aux enfants que je connais et que j’aime. J’AI PEUR. Je déteste avoir peur.
Je pense à la main du soldat qui a appuyé sur le bouton ou tirer la manette. Je pense à son visage, à son expression. Je pense à ses pensées. Et je ne vois rien. Car je ne sais pas à quoi ça ressemble d’être entièrement habité par le mal, d’être devenu le mal. Je ne sais pas.
Je pense aux frontières, ces lignes imaginaires qu’on a inventées pour séparer, créer des gens différents d’un coté et de l’autre.
Je pense à ce jour ensoleillé d’avril où j’avais visité Khiam et les frontières. C’était après la libération du Sud. C’était quand j’y croyais, que je voulais apprendre à être entièrement libanaise. Du nord au sud, de l’est à l’ouest.
Il est loin ce jour-la.
Il est loin ce matin d’avril.
Il est loin le soleil.
Et mon sentiment d’appartenance ? Je ne sais pas. Je déteste ne pas savoir. ET je suis condamnée à ne pas savoir :
- quand il y aura un cessez- le feu
- s’il y aura une véritable paix durable quoi.
- Que va-t-on faire de tous les déplacés ?
- Pourquoi…………………………… ?
- Pourquoi…………………………….. ?
- Pourquoi……………………………… ?
- Quand …………………………………. ?
- Quand …………………………………… ?
- Comment …………………………………. ?

-Jusqu’où…………………………………….? ...................................................... ..... ....... .. ..................................................................................................... ???? ? ? ? ? ? ? ? ...


Saturday, July 29, 2006

Il est très difficile d’écrire tous les jours et même quand j’y arrive, je n’ai pas le temps de tout taper… Donc j’ai décidé de mettre ce texte quand même. Il s’agit de ma première sortie de mon état ver de terrien. C’était samedi dernier. Il doit y avoir encore quelques fautes. Mais je sens que si je le relis encore je ne le mettrai pas. Donc, voila : Le 22-07-06

LE VER DE TERRE ET LA VILLE
Je n’ai pas de radio dans ma voiture. Je descends vers l’Escwa. A coté de la statue des martyrs j’aperçois un groupe de gens habillés en noir. Le message était pourtant clair : il fallait porter du blanc. Je continue vers l’Escwa. Comme toutes les routes sont coupées, je ne peux y accéder mais vois au loin un seul drapeau libanais flotter. Pour ma première journée de citoyenne active ça commence bien. Rebifurcation, re-place des martyrs. Je gars au bord de la route, là où il est interdit de stationner, je descends, m’avance et pose des questions. On m’explique qu’il s’agit d’une manifestions contre la violence. Les manifestants abordent des drapeaux rouges et blancs avec des images, silhouettes d’enfants blessés, mutilés…. Avec leurs noms à coté ou rien du tout (symbolique de l’anonymat). On me tend un drapeau. J’ai du mal à refuser surtout qu’on toise déjà mon tee shirt blanc avec interrogation.
Mais je ne sais rien de ces gens et de leurs aspirations ou appartenance politique. Je ne sais pas…
Pourquoi je suis là ?
Pourquoi il y a deux manifestations ?
Pourquoi je n’ai reçu qu’un seul sms concernant l’autre ?
Si j’avais reçu un avis est ce que je serai venue à celle-la ?
Je sors un peu du groupe et vais vers la fosse des journalistes – presque au nombre des manifestants- Je me sens mieux, moins oppressée dans la peau du spectateur. Les gens suent au soleil. Leurs têtes sont hautes mais leurs mains commencent à se fatiguer et les drapeaux baisent petit à petit. Je prends quelques photos très mal cadrées pour changer un peu. Ce n’est pas la guerre qui m’apprendra la précision.
Parmi les manifestants, il y a Marie-Noëlle. C’est une femme, une française, sur une chaise roulante que je connais peu. Nous avons participé ensemble à des ateliers d’écriture. Sur un point je la connais bien mais je sais peu de choses sur sa vie quotidienne… Elle me prend dans ses bras et pleure en m’embrassant la tête. Je ne sais pas ce que je sens. Elle m’explique qu’elle habite seule à Jounieh, qu’elle a deux filles que son mari lui a enlevées l’an dernier. Qu’elle ne sait pas où elles sont et qu’on lui a dit qu’elles pourraient être dans la Bekaa. Elle dit qu’elle restera là jusqu’au bout.
Elle m’explique ensuite que les gens en noir ne veulent pas que l’on parle. Je me sens mal à l’aise car son histoire personnelle, un drame en soi me laisse de marbre. Je sympathise et trouve cela effroyable. Mais cela reste une pensée et pas un sentiment.
La saturation ????
Les femmes en blanc nous rejoignent. Une quinzaine. Je ne m’y sens pas impliquée non plus. Une des femmes, représentative de la mamma Dior avec drapeau libanais façon bandana sur la tête et collier de petites fleurs est un aussi un électron libre et représente un parti ou une association, j’ai du mal à suivre.
Je suis debout à la limite du groupe devant un mec super militant. Sur son tee-shirt : « Disnelyand : Rien que d’y penser me fait bander ». Retour aux années 1980, il sifflote une chanson de Sabrine Paturel :
Fallait pas m' quitter, tu voisIl est beau le résultatJe fais rien que des bêtises, des bêtises quand t'es pas làA qui parle-t-il ? A son amant (e) qui l’a quitté ou au Liban à moins qu’il ne s’identifie au Liban qu’il décide de faire chanter.
C’est du n’importe quoi sous le soleil. Je suis prise de rires convulsifs sans raison.
Il est midi et demi, les gens veulent quitter et nous attendons encore le signal de Al Arabiya qui veut transmettre le sit-in en direct mais qui en même temps très occupée à transmettre les événements à Nabatiyeh. La patience est de rigueur.
Enfin c’est à nous. Le silence est demandé- car mais vous l’aviez compris c’est un sit-in silencieux- l’homme continue à siffloter et explique aux femmes en blanc qu’il préfère leurs slogans à celles en noir.
La journaliste clôt son intervention et les gens bougent, les langues se délient au milieu d’une femme, les cheveux gris courts qui pique une crise sur l’importance du silence « Al Soura, al soura hiyeh al ahham ! Lech mech aam tefhamo ? » = L’image, l’image est importante ! Pourquoi vous ne comprenez pas ?
Elle se crispe et s’énerve grave. Les gens tentent de la calmer au milieu des journalistes étrangers qui se posent des questions. Mon fou rire est loin de se calmer.
Question : Direction Sanayeh ? Réponse : Pourquoi pas pour deux heures de temps.
J’appelle Jihad qui m’explique où aller. J’arrive devant une porte : Lebanon for solidarity. Il y a un attroupement de femmes voilées qui crient pour se faire enregistrer, d’enfants debout partout et d’un type qui essaye des les écarter. Je me fraye un chemin et rentre dans l’allée ou des gens se pressent et trient des objets dans une chambre à gauche. En face beaucoup d’allées et venues. Je rentre et aperçois Kamal par terre en train de chanter du Brassens et d’entasser des récipients en plastic. Le travail se fait en trois étapes : Prendre un récipient, y coller une étiquette « Don de la fondation Bassel Fleihan » et le remettre. Ma tâche consiste à les prendre et à en faire des tas de 30.
Ensuite on me demande d’accompagner trois personnes à Roumieh pour chercher de la confiture. J’affirme très bien connaître la route mais cela fait au moins six ans que je n’y suis pas passée. Je monte avec Lyn, une jeune fille de 19 ans qui est arrivée la veille de Baalbeck. Nous nous dirigeons vers les cuisines du « Pain quotidien » où nous prenons des petites caisses de confiture, nous vérifions la date d’expiration, les trions par catégorie et vérifions la liste.
On nous appelle. Adma a été tapée. Ma mère m’appelle. Je ne sais pas si je dois mentir sur le lieu où je me trouve. Nous visitons ensuite les cuisines et remplissons des boites de muffins au chocolat encore chaud. Du haut de cette colline, on voit la mer et les bateaux de guerre. Nous sommes face à face. Le ciel est bleu gris, ça sent la pâtisserie chaude. A coté de moi, Mohamed, un autre volontaire, m’explique que c’est son premier jour à Mouationoun. Il vit seul à Jnah qui se trouve à la bordure de Dahyé. Sa famille a fui vers la Syrie. Il reste il a besoin de se rendre utile. En passant à coté de Sanayeh, il s’est arrêté, a vu l’organisation et a décidé de s’y joindre.
Nous redescendons vers Beyrouth. On déverse la marchandise en créant une chaîne. Je rentre. Je trie des chaussures : Hommes, femmes, enfants. Je transporte des sacs pleins de produits ménagers déversés dans des bouteilles sohats : roses, vert et blanc : detol, flash, shampoing… mes mains sentent drôlement bizarres et mon tee-shirt blanc vire au noir (c’est les manifestants qui vint être contents)
Je fais des sandwichs mortadelles, piquon étalé avec le doigt _je porte des gants évidemment- pour aller plus vite. (…)
Je discute avec Kamal de l’éloge de la fessée. Il veut directement mettre en application la discussion et prend en cobaye tous les gens qui passent devant lui. Les cobayes ne savent pas trop quoi penser et s’éloignent de lui le regard plein d’une méfiance amusée.
Comme je suis motorisée, on me demande de transporter des produits ménagers et de la nourriture à tarik el jdidé. On va donc coté aéroport. Je ne le savais pas. On rentre dans des dédales de rues où je n’ai jamais mis les pieds. Il y a des voitures et des gens partout. Des klaxons… On s’arrête dans un centre rattaché à l’UNRWA. Il y a quelques familles. Je leur donne les sacs de sandwichs… Il y a une femme très souriante et des petites filles très brunes qui me regardent bizarrement.
Ensuite nous passons au parking du Verdun plaza et nous remplissons ma voiture d’oreillers. Il est plus qu’évident que je ne vois rien en conduisant. Vive l’aventure, je reprends la route en sens inverse et interdit. Retour au local, on vide les oreillers et puis direction Monoprix pour acheter de la viande pour fabriquer des lahm et baajin le lendemain. Rajwa et Majd s’en occupent je les accompagne et les écoute discuter avec les deux bouchers, le gérant, les deux mecs de la security et deux employés venus avec des calculatrices. Comme le supermarché ferme ses portes et qu’ils veulent acheter deux tonnes de viande mélangées aux tomates et aux oignons, il faut une heure de travail, ca ne se negocie et ça coûte dans les 400 doll.
Je rencontre Wissam un ami à Nadim, tout de blanc vêtu et les pieds enfarinés-j‘ai oublié de lui demander pourquoi- illumine à fond dans un trip yoga il a du mal a croire que je connais son gourou et que j’ai déjà participé a ces séminaires dont il me parle. Plein sourires il m’explique que depuis le yoga, il ne ressent plus aucun down. Il a l’air sincère et je veux bien le croire. Il m’invite à venir aux prochaines séances de méditation. Comme je reçois toujours les mails de l‘association, je lui promets de méditer là-dessus.
Je redépose les gars au centre. Il est dix-neuf heures. Je n’ai rien mangé aujourd’hui et je ne suis pas passé aux toilettes malgré la quantité d’eau ingurgitée.
L’obsession du Hardees me chatouille le nez à nouveau. Maya m’a pourtant conseillé de ne pas m’approcher de Sassine, truffée d’antennes.
Je braverai les antennes. L’appel du Mushroom swiss est trop intense. En route, je me commande la bouffe, retire des sous, photographie les antennes et rentre à la maison. J’essaye de mastiquer lentement et de prendre plaisir à chaque bouchée. Je prends une douche et prends plaisir à l’eau chaude, à l’odeur du savon…
Pause internet. Pause longue. Apres deux heures de temps, la route vers la montagne, Baabdate, la maison vide, le silence, l’obscurité.
Je dresse le canapé lit, je contemple les ombres, les étoiles.
La journée est passée comme un éclair. Vite, vite, vite


29-6-7
Certains sont masochistes jusqu’au bout. Libanais dotés d’une nationalité française, ils ont accompagné les voyageurs, ont porté leurs valises et les ont aidés à monter dans le bus. Destination le port, destination Chypre, destination France. Destination : L’ailleurs loin des bombes. Les accompagnateurs, eux, ont décidé de rester ici.
D’autres sont partis pour des raisons professionnelles. Stage prévu depuis longue date. Bureau délocalisé dans la région… Le cœur serré, ils essayent néanmoins de façon absurde de s’adapter, de profiter de cet ailleurs.
Certains se sont isolés dans leur montagne, souvent quittée il y a dix ans. Ils suivent le cours des événements, mais vont à la piscine, organisent des soirées… Je ne sais pas si le cœur y est.
D’autres se sont regroupés autour des déplacés. Aider pour s’oublier et oublier la folie ambiante. Le cœur y est certainement, mais je ne sais pas s’il tiendra longtemps.

Et moi, je reste
Je reste
Je reste
A contempler les déplacés arriver
A éviter de voir les gens partir
A lire les news
A éviter les photos qui font mal
A organiser le mariage de ma cousine,
A éviter les réflexions genre « est ce que je vais mourir seule ?... »
A regarder melody Tv les variétés mythiques pour arrêter le temps
A éviter les talk show où les gens parlent pour dire ou ne rien dire. Ce qui revient un peu au même puisqu’au niveau de l’action c’est nada
A me dire que c’est le moment ou jamais d’améliorer mon arabe (contact des déplacés et gens qui s’en occupent) et mon anglais (lecture de très bons articles-il parait-)
A éviter les textes en anglais et en arabe car ça demande trop de concentration et ça me donne mal à la tête
A tenter de me souvenir ce que je voulais vraiment faire de ma vie avant qu’il n’ y ait la guerre
A éviter de faire des plans B, C ou D au cas où la crise s’intensifie. Ce serait perdre le moral.
C’est quoi la crise ?
Ca veut dire quoi s’intensifier ?

Wednesday, July 26, 2006

MES MATINS DE JUILLET

Le monde entier défile dans mon petit écran. Il est sept heures du matin. Les journaux sont à la porte. Certains services à domicile fonctionnent encore dans la petite région d’Achrafieh.
Il n’ y a plus de constatation à faire.
Des contestations alors ? Des gens qui militent à travers le monde. Un défilé pendant que mes pensées ne défilent plus dans ma tête. De la réflexion au compte-goutte. Pour que ma pensée traverse mon cerveau arrive au système nerveux qui la communique au membre qui doit s’exécuter cela prend selon les heures, les photographies ou les nouvelles que je viens d’entendre entre 30 mn et trois heures de temps.
J’absorbe mon nescafé sucré et les nouvelles matinales. Amères, amères, amères.
Amen, je peux toujours boire mon café, assise, dans mon salon.

17-07-06
JE REFUSE

Je sais que je ne veux pas y croire. Mes oreilles entendent, mes yeux voient, ma langue a perdu le goût des aliments, mon corps a retrouvé certains tics nerveux, mon nez est encore plus bouché que d’habitude
C’est comme ça, c’est simple, je ne veux pas. Le déni. Denial en anglais ça sonne plus harmonieux.
Je suis libanaise et le monde entier veut me faire croire que je n’existe pas. Pourtant il y a une semaine, je sais que je vivais à pleins poumons. Cette expression n’existe pas. Je l’ai inventée. C’est la guerre qui veut ça : L’invention des mots, l’invention des maux : Comment être sûr de détruire totalement, d’exploser … et ben c’est simple : on utilise des armes prohibées par … qui ? Je ne sais pas. Je ne fais que répéter ce qu’il y a dans les journaux. Je ne sais rien de la guerre moi. C’est-à-dire je ne peux l’expliquer. Je peux la vivre. C’est tout. Si je pouvais l’expliquer, est ce que je comprendrais pourquoi elle est là. Et si je comprends pourquoi elle est là, est ce que je pourrai faire quelque chose ? Quelque chose : c’est super flou comme réflexion. Merci ma cervelle. Elle n’a peut être pas été atteinte d’un obus mais elle est complètement atteinte. Ca c’est indéniable !

Friday, July 21, 2006

Le regret et la perfection du tir


Au fil des années, j’ai cultivé le culte de l’oubli afin d’apprendre à vivre sans regret. J’ai tenté de construire ma vie en oubliant tout ce qui n’a jamais été construit ou accompli pour aller toujours de l’avant.
Je n’ai pas de mémoire aujourd’hui. Probablement à cause de cela. Mes actes, la moindre minime de mes réflexions jusqu’à la plus développée. Toujours assumés.
Il y a deux mois, j’étais à Toulouse, en France. J’ai rencontré un auteur. Mathias Enard. Il m’a parlé. Un peu de son livre. La perfection du tir. Il aurait pu s’appeler aussi la précision du tir.
Il y a quelques temps, fin juin, je l’ai trouvé sur les rayons du CDI du Lycée. Il a longtemps traîné dans mon sac. Je lisais page après page. Relisais à nouveau. Ce n’est pas que j’accrochai pas mais ce devait être la peur. Il y a trois semaines, je n’avais pas réussi à nommer ce qui m’empêchait de lire. Aujourd’hui je sais.
Et puis, en deux nuits, le déclic.
En refermant le livre -c’est moi qu’elle pleure et c’est moi qui m’en vais-, je me suis sentie amère, gênée. J’ai senti pour la première fois ce fameux "regret" que j’essayai d’éviter depuis si longtemps. Nous nous retrouvions face à face et je le sentais déjà me narguer. Afficher un mauvais sourire.
Je regrettai d’avoir lu ce livre. Pourtant, la violence ne m’est pas inconnue. J’ai déjà lu des livres documentaires plus durs. J’ai disserté sur ce sujet lors de mon mémoire sur la ville de Beyrouth dans le cinéma libanais d’après guerre – 1990-
Ce livre a créé une sorte d’aura très sombre qui a déteint sur mon réveil le lendemain.
En descendant chercher ma voiture du parking souterrain, la lumière ne s’est pas tout de suite allumée et j’ai ressenti la présence d’un gouffre. Mes pieds ne m’ont plus porté alors que ces panes arrivent fréquemment. J’ai l’habitude de foncer dans le noir et une fois la porte de fer dépassée, la lumière finit toujours par se rallumer.
Mais je n’y arrivai pas.
L’image du franc-tireur couvert de sang, accroupi dans le noir, le souffle coupé m’obsédait.
Pourtant, cela n’avait pas lieu d’être. Il faisait beau. Le soleil brillait. J’avais la clim en voiture. Les vacances s’annonçaient super agréables. J’avais fait un plan de sport intensif. Peu de réflexion. Profiter de la nuit Beyrouthine. Vivre pour la première fois depuis sept ans mes vacances, mon anniversaire au Liban. Que du bon ,quoi, comme dirait Emile :)
Mais plus que l’image du franc-tireur, c’était la précision de son tir qui m’obsédait. Sa réflexion tordue et logique à la fois : Un calcul d’angles, un corps en mouvement, un œil précis, un corps inerte, un œil satisfait.
Voilà. PAF ! dieu Franc-tireur se porte garant de la vie de certains et décide de la mort des autres.
Pendant cette période, un de mes objectifs était d’apprendre à jouer au tennis. Le premier cours je suis arrivée en retard de 40mn. Le prof me l’avait placé à huit heures, un dimanche matin. Il m’a fait un sermon, m’a montré comment tenir la raquette et m’a lancé une dizaine de balles. Conclusion : Not bead. Réflexion regrettée au cours suivant :) Deux jours après donc. C’est drôle. J’ai du mal à accomplir les quatre mouvements qu’il n’arrête pas de découper : deux mvts des jambes et deux des bras. Mais, ça reste la détente.
Je pense à la précision du geste, précision du pivotement et du déplacement des bras, précision du lancer de la balle. Je rêve à la perfection d’un enchaînement sans tressaillement : la précision, la perfection….
Les balles jaunes qui pleuvent…
Depuis, de nombreuses balles sont tombées. Pas exactement des balles de même nature. J’ai arrêté les cours qui n’avaient pas eu le temps de débuter. C’était la guerre. Les obus se faisaient précis parfaits. Plus de balles jaunes. Plus de soleil.
Une nouvelle ère : celle du regret ?
Je l’entends rire au fond du parking souterrain où je suis obligée désormais de garer ma voiture.



Baudelaire, l'Etranger, Petits poèmes en prose
- Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis? ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère?
- Je n'ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.
- Tes amis?
- Vous vous servez là d'une parole dont le sens m'est resté jusqu'à ce jour inconnu.
- Ta patrie?
- J'ignore sous quelle latitude elle est située.
- La beauté?
- Je l'aimerais volontiers, déesse et immortelle.
- L'or?
- Je le hais comme vous haïssez Dieu.
- Eh! qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger?
- J'aime les
nuages... les nuages qui passent... là-bas... là-bas... les merveilleux nuages!

Mon téléphone sonne. C’est Emile. Il ne veut pas me réveiller et me dit de le rappeler. Il est neuf heures 10. Les oiseaux gazouillent. C’est le calme plat. Ma chambre donne sur ne petite cour au milieu des immeubles. Je perçois le bruit du ballon qui s’arrête. Les enfants ne crient pas. D’habitude ce sont eux qui me réveillent. Débordants d’énergie tous les matins. Je me lève. La maison est vide. Le ciel est gris. Nous sommes en juillet. Le ciel est gris.
La même question tous les matins depuis 10 jours : Est-ce que je vais y arriver ? Es-ce que je vais arriver à croire ? Croire que c’est la guerre.
Je ne sais pas. Pourtant il y a des facteurs indéniables :
- Ma mère et ma sœur isolées à la montagne depuis 10 jours
- Moi scotchée tous les matins, tous les après-midi, tous les soirs à mon écran d’ordinateur
- Le silence de la ville
- La fermeture des magasins
- Le bruit des bombes
- Le départ des gens
- Le silence de la ville.
- LA PEUR qui s’infiltre à nouveau partout partout partout. La PEUR qu’on avait réussi à domestiquer, à gérer tient à nouveau les reines et se prend un malin plaisir à nous faire galoper sur un rythme d’enfer.

Ca ne veut pas dire que ce matin j’y croirai. Ca ne veut pas dire que ce matin je me joindrai au millier de gens qui aident les réfugiés. Ca ne veut pas dire que ce matin je dépasserai mon état de ver de terre passif. Je ne suis pas un ver de terre que l’on a recroquevillé. Pas encore du moins. Mais un ver de terre quand même. Un minuscule être mais vraiment quoi les plus petits vers de terre avec le minimum de capacités de réflexion, d’audition et surtout d’action.