Le regret et la perfection du tir
Au fil des années, j’ai cultivé le culte de l’oubli afin d’apprendre à vivre sans regret. J’ai tenté de construire ma vie en oubliant tout ce qui n’a jamais été construit ou accompli pour aller toujours de l’avant.
Je n’ai pas de mémoire aujourd’hui. Probablement à cause de cela. Mes actes, la moindre minime de mes réflexions jusqu’à la plus développée. Toujours assumés.
Il y a deux mois, j’étais à Toulouse, en France. J’ai rencontré un auteur. Mathias Enard. Il m’a parlé. Un peu de son livre. La perfection du tir. Il aurait pu s’appeler aussi la précision du tir.
Il y a quelques temps, fin juin, je l’ai trouvé sur les rayons du CDI du Lycée. Il a longtemps traîné dans mon sac. Je lisais page après page. Relisais à nouveau. Ce n’est pas que j’accrochai pas mais ce devait être la peur. Il y a trois semaines, je n’avais pas réussi à nommer ce qui m’empêchait de lire. Aujourd’hui je sais.
Et puis, en deux nuits, le déclic.
En refermant le livre -c’est moi qu’elle pleure et c’est moi qui m’en vais-, je me suis sentie amère, gênée. J’ai senti pour la première fois ce fameux "regret" que j’essayai d’éviter depuis si longtemps. Nous nous retrouvions face à face et je le sentais déjà me narguer. Afficher un mauvais sourire.
Je regrettai d’avoir lu ce livre. Pourtant, la violence ne m’est pas inconnue. J’ai déjà lu des livres documentaires plus durs. J’ai disserté sur ce sujet lors de mon mémoire sur la ville de Beyrouth dans le cinéma libanais d’après guerre – 1990-
Ce livre a créé une sorte d’aura très sombre qui a déteint sur mon réveil le lendemain.
En descendant chercher ma voiture du parking souterrain, la lumière ne s’est pas tout de suite allumée et j’ai ressenti la présence d’un gouffre. Mes pieds ne m’ont plus porté alors que ces panes arrivent fréquemment. J’ai l’habitude de foncer dans le noir et une fois la porte de fer dépassée, la lumière finit toujours par se rallumer.
Mais je n’y arrivai pas.
L’image du franc-tireur couvert de sang, accroupi dans le noir, le souffle coupé m’obsédait.
Pourtant, cela n’avait pas lieu d’être. Il faisait beau. Le soleil brillait. J’avais la clim en voiture. Les vacances s’annonçaient super agréables. J’avais fait un plan de sport intensif. Peu de réflexion. Profiter de la nuit Beyrouthine. Vivre pour la première fois depuis sept ans mes vacances, mon anniversaire au Liban. Que du bon ,quoi, comme dirait Emile :)
Mais plus que l’image du franc-tireur, c’était la précision de son tir qui m’obsédait. Sa réflexion tordue et logique à la fois : Un calcul d’angles, un corps en mouvement, un œil précis, un corps inerte, un œil satisfait.
Voilà. PAF ! dieu Franc-tireur se porte garant de la vie de certains et décide de la mort des autres.
Pendant cette période, un de mes objectifs était d’apprendre à jouer au tennis. Le premier cours je suis arrivée en retard de 40mn. Le prof me l’avait placé à huit heures, un dimanche matin. Il m’a fait un sermon, m’a montré comment tenir la raquette et m’a lancé une dizaine de balles. Conclusion : Not bead. Réflexion regrettée au cours suivant :) Deux jours après donc. C’est drôle. J’ai du mal à accomplir les quatre mouvements qu’il n’arrête pas de découper : deux mvts des jambes et deux des bras. Mais, ça reste la détente.
Je pense à la précision du geste, précision du pivotement et du déplacement des bras, précision du lancer de la balle. Je rêve à la perfection d’un enchaînement sans tressaillement : la précision, la perfection….
Les balles jaunes qui pleuvent…
Depuis, de nombreuses balles sont tombées. Pas exactement des balles de même nature. J’ai arrêté les cours qui n’avaient pas eu le temps de débuter. C’était la guerre. Les obus se faisaient précis parfaits. Plus de balles jaunes. Plus de soleil.
Une nouvelle ère : celle du regret ?
Je l’entends rire au fond du parking souterrain où je suis obligée désormais de garer ma voiture.
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1 Comments:
un petit coucou d'allemagne,
j'éspère que tu vas bien et que tu es en bonne santé. C'est trop dure pour s'imaginer ce qui se passe en ce moment au liban.Chaques jours je regarde les informations pour me faire un image ta situation. Je me fait des soucis pour toi et pour mes autres amis à qui j'ai fait la connaissance.
Dit moi, comment je te peux aider, naturellement t'es toujours inviter de venir en allemagne.J'espere que la paix arrive bientôt.je pense à toi.take care. je t'embrasse
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