juillet06

C'est un blog né de l'impuissance. Impuissance face aux discours steriles, à la méchanceté gratuite, à la folie et à l'égocentrisme de ceux qui veulent gouverner et construire des nations. Un blog qui me ressemble : incohérent et interrogateur, drôle et larmoyant. Valérie

Tuesday, January 23, 2007



Beyrouth
LatitudeLongitudeAltitude
35°29' N33°49' E29 m
relevé le mardi 23 à 11:00 (heure locale)
16°C

Humidité relativeDirection du ventForce du vent
55 %N14 km/h
beau temps
Lever du soleilCoucher du soleilDurée
06:4016:59+1 min
Ecueil

Il fait beau. Il fait toujours beau quand ça merde. A croire presque qu’ils suivent la météo, qu’ils la traquent pour nous piéger, nous enrager.
Cet été j’ai nettoyé la mer une demi-journée, j’ai eu des maux de tête pendant trois jours. Mais je voulais le faire, m’accrocher.
Aujourd’hui, j’ai envie de nettoyer le ciel. Comment fait-on pour nettoyer le ciel ? Mon ciel bleu pur qui s’est obscurci avec les premières couleurs de l’aube. Pourtant sur les billboards de la ville, j’ai cru comprendre que l’opposition voulait semer les couleurs. Reprenant l’arc-en-ciel en logo (très énigmatique et controversé), elle a répondu aux panneaux :
j’aime la vie,
j’aime la vie en couleurs.
C quelle couleur le gris ?
Pourquoi est ce qu’on se fout de nous d’un coté et de l’autre. La pub, c toujours du bluff. J’aurai dû lire entre les mots et les couleurs :
J’aime ma vie.
Ma vie qui d’emblée exclue la tienne, la sienne, toutes celles qui ne répondent pas à mes aspirations.

Parce que c’est comme ça que ça fonctionne.
Deux affirmations, mais un total déni de l’autre.
D’accord, je n’y croyais pas trop à ce jour de travail mais ça m’aurait tuée qu’on soit obligés de fermer. Donc on a ouvert. Je suis arrivée essoufflée, ébouriffée, 5mn en retard alors que j’habite à 3mn. Quelques professeurs, quelques élèves, les proviseurs. Un prof qui s’accroche à une petite radio qui a du mal à capter les ondes.
Flash back : Mmes Odile et Caroline dans l’autocar scolaire. De noir vêtues, les cheveux huileux, frigorifiées et désagréables hiver comme été collées à leur petit poste de radio. Flash-back : On court dans les couloirs et on se jette à plat ventre dans le réfectoire où les bonnes sœurs prennent leur repas. Ca sent la chaleur mais tous les enfants pleurent. Je demande à avoir ma petite sœur à coté de moi. Flash back : L’autocar zigzague comme un fou. On entend des bruits horribles. Le chauffeur hurle qu’on s’aplatisse sous les bancs. On arrive après deux heures de route. Ce soir mon père ne rentrera pas. Il sera retenu plus de deux jours et demi dans son bureau, sa rue prise d’assaut par diverses milices. On se demande aujourd’hui encore comment il s’en est sorti. Flash back d’une réalité qui semble collée à ma peau, collée à ce ciel de plus en plus gris.
C quoi comme couleur le gris ?

Les protagonistes qui avaient lancé cette guerre font partie de l’avant-scène du spectacle qui se déroule dans nos rues aujourd’hui. J’avais 8, 9 ans. Aujourd’hui j’en ai 27. La cloche du lycée persiste à sonner. C’est l’heure de la recréation. Mais on a renvoyé tous les enfants chez eux. On a voulu résister. On nous a empêchés. Pourtant ils appellent leur combat un combat de et vers la liberté. La mienne ne doit pas vraiment les concerner. La mienne, celles des enfants qu’on a amenés, des professeurs qui sont venus, des surveillants, de la dame qui fait des photocopies et de celle qui fait les manakiches. Notre liberté, ils n’en ont rien à foutre. Ce n’est ni l’enseignent, ni l’élève, ni la dame qui fait les manakiches ni celle qui reproduit les documents qui feront peut être avancer le pays. Ce n’est pas non plus la mère qui est arrivée à 9h accompagnée de son fils de treize ans. Venue de Hamra, elle s’est faite insulter sur la route. On a tenté par tous les moyens de lui faire rebrousser chemin. Elle a eu l’impression de passer entre les lignes de démarcation, les snipers remplacés par des barrages de pneus…Elle a contourné les clous, le mazout, les mal intentionnés, les gamins excités. Elle voulait amener son fils à l’école. Elle a garé à un quart d’heure à pied du lycée. Elle est arrivée et elle nous en a voulu d’avoir déserté. Et elle a eu raison et j’ai eu honte. C’est vraiment tout dire. La honte, c’est le sentiment que je ressens.

Fabriano a lancé le thème de son nouveau concours de dessin :
Affiche touristique pour le Liban d’avenir
Gardez l’espoir… gardez le sourire !
Le Liban est malade de son environnement.
Si le Liban n’était pas ma patrie, j’aurai pris le Liban pour patrie. (Gebran)

J’ai honte parce qu’à part la troisième proposition, les autres demeurent illisibles, aussi illisible que le monde de Shwara dans le pont de Ran-Mositar[1]. J’ai honte parce que je me sens coupable de ne pas comprendre. Parce que les mots flottent cabrés et fous devant mes yeux avenir, sourire, patrie.

Il y a deux ans bientôt je les ai vus éperonner la liberté et plier bagages. J’ai cru à un mirage. J’ai souri mais mon sourire était déjà amer et je ne voulais pas le voir. Je ne voulais pas y croire
Au lycée avant de rentrer, Michèle a abordé le proviseur. Ils ont parlé de la langue créole. Il lui a parlé d’un oiseau qui se réveille avec l’aube et qui est le premier à célébrer l’arrivée d’un nouveau jour et il a dit quelques phrases en cette langue : très musicale. Le pipiri, l’oiseau du matin.
Et puis il a parlé de projets qu’il mène en terminant par tout tombe à l’eau. Je n’ai pas voulu dire qu’on était devenus tous des pécheurs spécialisés et qu’il ne s’inquiète pas. Mais c’est ce que j’ai senti sur le moment. On pêche, se repêche, se noie au fond d’un verre, d’une crevasse, d’une plaque de pétrole ou d’une piscine vide. Et puis on recommence.
Je me demande si le pipiri aurait chanté ce matin s’il s’était trouvé par hasard dans notre ciel. Je me demande s’il aurait célébré le matin gris ? Si sa petite gorge ne se serait pas enflammée. S’il aurait pris feu. Comme… Comme le phoenix.
J’ai besoin qu’on change de symbole. C’est peut être pour cela qu’on va mal. Parce que l’on sait que l’on va renaître de nos cendres alors on joue, on voit jusqu'à quand. On continue à brûler, et puis rien.
Des gens qui se consument derrière leurs fenêtres. Dans l’attente. Le Liban est une salle d’attente spécialisée dans l’ajournement. On attend pour entendre « un jour peut-être… » et puis on se rassoit. Et les jours, les semaines, les mois défilent et on est bien content d’entendre une phrase différente « peut-être un jour » et puis après « yemken chi yom » en arabe ça a l’air plus certain….
J’aimerai mieux parler l’arabe. Peut-être que ça me ferait sentir plus libanaise. Plus libanaise ? Plus patriotique. Plus patriotique ? C quoi ? une couleur sans doute…


[1] Roman de Frank Pavloff : Ca se passé dans une ville dont on ignore le nom mais on sait que c’est en Bosnie. C sublime mais ça fait mal. C l’après-guerre civile et le pardon est impossible…. Et il y a un pont à reconstruire…

1 Comments:

At 1:56 PM , Anonymous Anonymous said...

Tu sais que je n'ai pas beaucoup de temps en ce moment pour te laisser dans cette boîte aux lettres les commentaires que tes écrits méritent... En deux mots, j'adore plus que jamais ta sensibilité et je partage pleinement ton amertume... Et puis cette phrase:

''Le Liban est une salle d’attente spécialisée dans l’ajournement''

... Un petit chef d'oeuvre;)

T'embrasse tout fort et espère te voir bientôt pour te faire part de mes impressions... Un jour de soleil? Sachant qu'il nous sera interdit de travailler... Que dirais-tu de Ahwit Chatila, alias Rawda Café?

 

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