Une aube d'été
J'ai embrassé l'aube d'été. Rien ne bougeait encore au front des palais. L'eau était morte. Les camps d'ombres ne quittaient pas la route du bois. J'ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit. (Illuminations, Rimbaud) J’ai toujours eu tendance à dormir en position foetale. Aujourd’hui, ce dernier mois, encore plus. Parfois si repliée que cela me donne des crampes partout et des bosses sur le haut des épaules. Il est 5 : 40 du mat. Maya vante les mérites de Sawt Loubnan, particulièrement ceux de Maktab el Tahrir très rapides. A croire qu’ils savent où va tomber la bombe avant même qu’elle n’explose. Nous entendons la bombe. Nous comptons trois à quatre secondes. Maya branche son walkman. La présentatrice situe l’objectif ciblé. Certains sont plus violents que d’autres et j’ai comme l’impression d’entendre des vitres se casser au loin. Cela fait à peu près une heure qu’ils ne sont pas arrêtés. Dahyé et ses alentours. Encore et toujours. La même chanson nocturne. Le même refrain acharné, enchaîné. Les israéliens déchirent, crèvent, brûlent…. Encore et encore. Je me demande s’ils sont saouls, si on les dope. Comment font-ils ? Maya veut se rendormir, car elle travaille demain, enfin dans quelques heures. Elle m’allume la grande radio. 99 FM coupée de la réalité passe du RNB très dynamique. On tourne le bouton : 93.3, la voix de Fairuz que je fuis depuis le 12 juillet. Ca aussi ça fait mal. Fuir ce qu’on aime. J’ai appris à l’apprécier, à l’écouter, à l’associer à des événements positifs. Et PAF, tout parti en l’air. A refaire. C’est la première fois que j’entends maktab el tahrir depuis 16 ans. Ils ont changé la musique mais ont gardé le slogan. Continue à piétiner ma fille. Les années 90. Tiens en pleine figure. Chez Maya comme elle le dit si bien “maaoul personne n’a bronché”. L’habitude, les mauvaises habitudes de la guerre : la soumission à l’inconfort, au bruit, aux files d’essences, à l’injustice, à la stagnation…. Ca sent la fumé, un peu l’odeur du poulet sur le grill. Je ne sais pas d’ou ça vient. Maya dit que ça sent la poudre Ce qui est plus absurde après ça c’est d’aller au boulot dit elle dans un énorme sourire. Elle sait seulement qu’elle a encore cet avantage : qu’on ne l’a pas mise a la porte, qu’on ne lui a pas encore remis son salaire en question et qu’on ne l’a pas encore forcée à prendre des jours de congé non payés. Comment fait-on quand voulant dans un élan d’espoir croire à l’avenir on s’est acheté une voiture à crédit? On a ouvert une agence de pub? On a loué un appart? On s’est marié? Et …..? et… ? On a fait exploser sa carte de crédit deux jours avant la guerre suite à un chagrin d’amour car on savait que cet été l’argent coulerait à flot ? Comment on fait ? Ca aussi c’est des victimes de la guerre. Mais on n’en parle pas dans les journaux car la plupart ont encore un toit ou plusieurs au-dessus de leurs têtes. Dans la rue, les alarmes des voitures et les chauffards se font la concurrence, suivis par les premiers oiseaux du matin qui se joignent à cette fanfare matinale. A partir du moment où je me suis levée m’asseoir face à l’écran, j’ai recommencé à sursauter. C’est très étrange, mais, quand je suis allongée enfin recroquevillée dans mon lit je ne sursaute jamais. Une fois debout, ça me rattrape vite. 5:58 Les nouvelles : ils parlent de ces odeurs qui nous ont envahis. Ensuite c’est la série Russie, France, Angleterre…. Chacun se prononce encore une fois depuis 30 jours. Les arrivées des personnalités, le départ d’autres. Les négociations. La parlotte. Est ce que vos gorges sont aussi desséchées que les nôtres messieurs dames? Est ce que vous avez soif? Faim? Faim de vie normale avec un grand N ? Faim de nuits tranquilles ? De réveils plein de perspectives ? De rires spontanés et non nerveux ? Faim de petits problèmes quotidiens qui auront toujours une solution ? Soif de mots, de concentration ? Soif d’énergie positive ? Est-ce que vous avez peur ? Est-ce que vous aimez ? Est-ce que vous réveillez angoissés, souriants, ou détendus ? Notre santé physique et morale vous préoccupe-t-elle vraiment ? Vous empêche-t-on de dormir ? Vous coupe-t-on l’appétit ? Vous déforme-t-on vos sourires ? Comment vous sentez vous en ce beau matin d’août? Pour ma part, j’ai encore été réveillée par les bombardements. Oui vous avez raison. Je n’aurai pas du broncher puisque vous m’avez garanti que ce n’est pas moi qui suis visée. Qu’ils ne savent même pas que j’existe. Enfin si un peu quand même puisqu’il me lance des tracts etc. En ouvrant les yeux, j’ai encore réajusté ma position pour éviter les maux de dos quotidiens. J’ai étiré les jambes, croisé les bras derrière la tête. En face, à gauche, la fenêtre avec un bout de mur en brique, et le rideau en voile blanche qui flotte fantomatique et fait passer un vent agréable. Dehors un ciel bleu pur et une lune ronde argentée. Le mouvement du vent est poétique. J’ai du mal à regarder ce tableau. Je me lève et me dirige vers l’ordinateur. J’ai reçu un mail nauséabond Israel history X. Je n’ai même pas pu tout lire tellement c’est méchant et diabolique. Il s’agit de plusieurs déclarations faites par les différents chefs d’Israël depuis la création de cet état. Une surenchère de bestialité. Ils étaient comment les juifs avant que Hitler ne les persécute ? C’était quoi exactement leur problème ? En quittant vers 11h j’ai croise la mère de Maya à la porte. Je n’ai pu m’empêcher de banalité : - Comment allez vous ? - Comme le pays me répond -elle en souriant. Et je rentre chez moi. Comme le pays, c'est-à-dire mal, très mal. Un pays au bord de la nausée, à la limite de la crise de nerfs collective (Je ne vous parlerai de mon état personnel. L’ordinateur s’est éteint quatre fois depuis ce matin et je recommence ce même texte depuis.) Un pays yoyo dont la boulle s’use sans arrêt, s’effrite, se morcelle alors que l’élastique resplendit tous les jours davantage, étirant à l’infini les possibilités du désastre qu’il croise constamment aux solutions prochaines, très prochaines ( ?) : La 30e journée de la guerre contre le Liban a été rythmée hier à la fois et en même temps par les bruits du canon et par une bonne (et vraie) volonté d’accélérer les choses sur le plan diplomatique (L’Orient le jour)
Tous les jours les mêmes questions avec cette énorme angoisse de répétition de l’Histoire, celle de nos parents qui ont spéculé d’abord sur des jours et se sont retrouvés engloutis sous 17 ans de guerre. Je ne suis pas de nature pessimiste mais vraiment très loin de là. Mais j’ai du mal. BEAUCOUP de mal à ramer dans le bon sens. J’ai même interprété l’histoire des avions de Londres comme un traquenard pour détourner l’attention des medias. Résultats nous étions le quatrième titre du journal. J’ai peur que ce conflit devienne banal et occupe et préoccupe de moins en moins les gens. Qu’il rejoigne les autres, ceux qui durent depuis si longtemps qu’on a oublié presque qu’ils existaient ce dernier mois. Ceux qu’on a toujours eu la possibilité de zapper. Aujourd’hui c’est le monde qui nous zappe. Il est 13 heures, le bruit des avions est très proche ce midi. Accompagné pour la première fois par une symphonie lugubre à laquelle participent activement tous les chiens du quartier. Je sors au balcon. J’observe les traînées argentées dans le ciel bleu. Je pense aux images sur Euronews : les tracts lancés en plein ciel. Très décoratif. Une œuvre d’art suspendue au-dessus de nos têtes. Annonçant de nouvelles opérations de nettoyage, nous mettant une nouvelle fois en garde contre l’ennemi qui sommeille tout prêt de nous. Merci de vous préoccuper de notre sort. Vraiment, sans vous, je me demande ce que nous aurions fait ? Ce que nous serions devenus ? Merci de transformer le pays en toile minimaliste, en cratère de lune. Merci d’être ce que vous êtes pour nous faire comprendre ce que nous sommes. Ce que nous sommes ? Je ne sais pas. Mais au moins nous ne sommes pas vous. Et ça c’est le plus important. C’est même une pensée qui sauve ma journée et peut-être même mes lendemains. Bonne journée messieurs dames !
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2 Comments:
Bonjour Valérie,
Je ne trouve pas que votre blog soit incohérent. Il est le reflet de ce que vous vivez au quotidien avec vos interrogations, vos réflexions, vos sentiments. J'aime la diversité de vos textes ces mots forts que vous utilisez, ces phrases qui me font sourire et votre poésie. Je suis toujours très émue et touchée par vos différents écrits.
Je vous dis à bientôt pour pouvoir vous lire encore et vous voir un jour à Beyrouth et comme vous le dîtes si bien, "décousue mais belle à crever".
Bénédicte
"Ce que nous sommes ? Je ne sais pas. Mais au moins nous ne sommes pas vous. Et ça c’est le plus important."
Est-ce que tu ne penses pas qu'il y a des gens comme toi dans ton "vous"? Essaie de comprendre ce qu'il se passe de l'autre côté avant d'ajouter ta haine à cet océan d'incompréhensions.
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