Il est très difficile d’écrire tous les jours et même quand j’y arrive, je n’ai pas le temps de tout taper… Donc j’ai décidé de mettre ce texte quand même. Il s’agit de ma première sortie de mon état ver de terrien. C’était samedi dernier. Il doit y avoir encore quelques fautes. Mais je sens que si je le relis encore je ne le mettrai pas. Donc, voila : Le 22-07-06
LE VER DE TERRE ET LA VILLE
Je n’ai pas de radio dans ma voiture. Je descends vers l’Escwa. A coté de la statue des martyrs j’aperçois un groupe de gens habillés en noir. Le message était pourtant clair : il fallait porter du blanc. Je continue vers l’Escwa. Comme toutes les routes sont coupées, je ne peux y accéder mais vois au loin un seul drapeau libanais flotter. Pour ma première journée de citoyenne active ça commence bien. Rebifurcation, re-place des martyrs. Je gars au bord de la route, là où il est interdit de stationner, je descends, m’avance et pose des questions. On m’explique qu’il s’agit d’une manifestions contre la violence. Les manifestants abordent des drapeaux rouges et blancs avec des images, silhouettes d’enfants blessés, mutilés…. Avec leurs noms à coté ou rien du tout (symbolique de l’anonymat). On me tend un drapeau. J’ai du mal à refuser surtout qu’on toise déjà mon tee shirt blanc avec interrogation.
Mais je ne sais rien de ces gens et de leurs aspirations ou appartenance politique. Je ne sais pas…
Pourquoi je suis là ?
Pourquoi il y a deux manifestations ?
Pourquoi je n’ai reçu qu’un seul sms concernant l’autre ?
Si j’avais reçu un avis est ce que je serai venue à celle-la ?
Je sors un peu du groupe et vais vers la fosse des journalistes – presque au nombre des manifestants- Je me sens mieux, moins oppressée dans la peau du spectateur. Les gens suent au soleil. Leurs têtes sont hautes mais leurs mains commencent à se fatiguer et les drapeaux baisent petit à petit. Je prends quelques photos très mal cadrées pour changer un peu. Ce n’est pas la guerre qui m’apprendra la précision.
Parmi les manifestants, il y a Marie-Noëlle. C’est une femme, une française, sur une chaise roulante que je connais peu. Nous avons participé ensemble à des ateliers d’écriture. Sur un point je la connais bien mais je sais peu de choses sur sa vie quotidienne… Elle me prend dans ses bras et pleure en m’embrassant la tête. Je ne sais pas ce que je sens. Elle m’explique qu’elle habite seule à Jounieh, qu’elle a deux filles que son mari lui a enlevées l’an dernier. Qu’elle ne sait pas où elles sont et qu’on lui a dit qu’elles pourraient être dans la Bekaa. Elle dit qu’elle restera là jusqu’au bout.
Elle m’explique ensuite que les gens en noir ne veulent pas que l’on parle. Je me sens mal à l’aise car son histoire personnelle, un drame en soi me laisse de marbre. Je sympathise et trouve cela effroyable. Mais cela reste une pensée et pas un sentiment.
La saturation ????
Les femmes en blanc nous rejoignent. Une quinzaine. Je ne m’y sens pas impliquée non plus. Une des femmes, représentative de la mamma Dior avec drapeau libanais façon bandana sur la tête et collier de petites fleurs est un aussi un électron libre et représente un parti ou une association, j’ai du mal à suivre.
Je suis debout à la limite du groupe devant un mec super militant. Sur son tee-shirt : « Disnelyand : Rien que d’y penser me fait bander ». Retour aux années 1980, il sifflote une chanson de Sabrine Paturel :
Fallait pas m' quitter, tu voisIl est beau le résultatJe fais rien que des bêtises, des bêtises quand t'es pas làA qui parle-t-il ? A son amant (e) qui l’a quitté ou au Liban à moins qu’il ne s’identifie au Liban qu’il décide de faire chanter.
C’est du n’importe quoi sous le soleil. Je suis prise de rires convulsifs sans raison.
Il est midi et demi, les gens veulent quitter et nous attendons encore le signal de Al Arabiya qui veut transmettre le sit-in en direct mais qui en même temps très occupée à transmettre les événements à Nabatiyeh. La patience est de rigueur.
Enfin c’est à nous. Le silence est demandé- car mais vous l’aviez compris c’est un sit-in silencieux- l’homme continue à siffloter et explique aux femmes en blanc qu’il préfère leurs slogans à celles en noir.
La journaliste clôt son intervention et les gens bougent, les langues se délient au milieu d’une femme, les cheveux gris courts qui pique une crise sur l’importance du silence « Al Soura, al soura hiyeh al ahham ! Lech mech aam tefhamo ? » = L’image, l’image est importante ! Pourquoi vous ne comprenez pas ?
Elle se crispe et s’énerve grave. Les gens tentent de la calmer au milieu des journalistes étrangers qui se posent des questions. Mon fou rire est loin de se calmer.
Question : Direction Sanayeh ? Réponse : Pourquoi pas pour deux heures de temps.
J’appelle Jihad qui m’explique où aller. J’arrive devant une porte : Lebanon for solidarity. Il y a un attroupement de femmes voilées qui crient pour se faire enregistrer, d’enfants debout partout et d’un type qui essaye des les écarter. Je me fraye un chemin et rentre dans l’allée ou des gens se pressent et trient des objets dans une chambre à gauche. En face beaucoup d’allées et venues. Je rentre et aperçois Kamal par terre en train de chanter du Brassens et d’entasser des récipients en plastic. Le travail se fait en trois étapes : Prendre un récipient, y coller une étiquette « Don de la fondation Bassel Fleihan » et le remettre. Ma tâche consiste à les prendre et à en faire des tas de 30.
Ensuite on me demande d’accompagner trois personnes à Roumieh pour chercher de la confiture. J’affirme très bien connaître la route mais cela fait au moins six ans que je n’y suis pas passée. Je monte avec Lyn, une jeune fille de 19 ans qui est arrivée la veille de Baalbeck. Nous nous dirigeons vers les cuisines du « Pain quotidien » où nous prenons des petites caisses de confiture, nous vérifions la date d’expiration, les trions par catégorie et vérifions la liste.
On nous appelle. Adma a été tapée. Ma mère m’appelle. Je ne sais pas si je dois mentir sur le lieu où je me trouve. Nous visitons ensuite les cuisines et remplissons des boites de muffins au chocolat encore chaud. Du haut de cette colline, on voit la mer et les bateaux de guerre. Nous sommes face à face. Le ciel est bleu gris, ça sent la pâtisserie chaude. A coté de moi, Mohamed, un autre volontaire, m’explique que c’est son premier jour à Mouationoun. Il vit seul à Jnah qui se trouve à la bordure de Dahyé. Sa famille a fui vers la Syrie. Il reste il a besoin de se rendre utile. En passant à coté de Sanayeh, il s’est arrêté, a vu l’organisation et a décidé de s’y joindre.
Nous redescendons vers Beyrouth. On déverse la marchandise en créant une chaîne. Je rentre. Je trie des chaussures : Hommes, femmes, enfants. Je transporte des sacs pleins de produits ménagers déversés dans des bouteilles sohats : roses, vert et blanc : detol, flash, shampoing… mes mains sentent drôlement bizarres et mon tee-shirt blanc vire au noir (c’est les manifestants qui vint être contents)
Je fais des sandwichs mortadelles, piquon étalé avec le doigt _je porte des gants évidemment- pour aller plus vite. (…)
Je discute avec Kamal de l’éloge de la fessée. Il veut directement mettre en application la discussion et prend en cobaye tous les gens qui passent devant lui. Les cobayes ne savent pas trop quoi penser et s’éloignent de lui le regard plein d’une méfiance amusée.
Comme je suis motorisée, on me demande de transporter des produits ménagers et de la nourriture à tarik el jdidé. On va donc coté aéroport. Je ne le savais pas. On rentre dans des dédales de rues où je n’ai jamais mis les pieds. Il y a des voitures et des gens partout. Des klaxons… On s’arrête dans un centre rattaché à l’UNRWA. Il y a quelques familles. Je leur donne les sacs de sandwichs… Il y a une femme très souriante et des petites filles très brunes qui me regardent bizarrement.
Ensuite nous passons au parking du Verdun plaza et nous remplissons ma voiture d’oreillers. Il est plus qu’évident que je ne vois rien en conduisant. Vive l’aventure, je reprends la route en sens inverse et interdit. Retour au local, on vide les oreillers et puis direction Monoprix pour acheter de la viande pour fabriquer des lahm et baajin le lendemain. Rajwa et Majd s’en occupent je les accompagne et les écoute discuter avec les deux bouchers, le gérant, les deux mecs de la security et deux employés venus avec des calculatrices. Comme le supermarché ferme ses portes et qu’ils veulent acheter deux tonnes de viande mélangées aux tomates et aux oignons, il faut une heure de travail, ca ne se negocie et ça coûte dans les 400 doll.
Je rencontre Wissam un ami à Nadim, tout de blanc vêtu et les pieds enfarinés-j‘ai oublié de lui demander pourquoi- illumine à fond dans un trip yoga il a du mal a croire que je connais son gourou et que j’ai déjà participé a ces séminaires dont il me parle. Plein sourires il m’explique que depuis le yoga, il ne ressent plus aucun down. Il a l’air sincère et je veux bien le croire. Il m’invite à venir aux prochaines séances de méditation. Comme je reçois toujours les mails de l‘association, je lui promets de méditer là-dessus.
Je redépose les gars au centre. Il est dix-neuf heures. Je n’ai rien mangé aujourd’hui et je ne suis pas passé aux toilettes malgré la quantité d’eau ingurgitée.
L’obsession du Hardees me chatouille le nez à nouveau. Maya m’a pourtant conseillé de ne pas m’approcher de Sassine, truffée d’antennes.
Je braverai les antennes. L’appel du Mushroom swiss est trop intense. En route, je me commande la bouffe, retire des sous, photographie les antennes et rentre à la maison. J’essaye de mastiquer lentement et de prendre plaisir à chaque bouchée. Je prends une douche et prends plaisir à l’eau chaude, à l’odeur du savon…
Pause internet. Pause longue. Apres deux heures de temps, la route vers la montagne, Baabdate, la maison vide, le silence, l’obscurité.
Je dresse le canapé lit, je contemple les ombres, les étoiles.
La journée est passée comme un éclair. Vite, vite, vite